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J'ai servi des rois et des comtes.
En vérité, sais-tu chasser aux chiens ? aux oiseaux ?
Certes, quand il me plaît, de chasser en forêt, je sais prendre, avec
mes lévriers, les grues qui volent dans les nuées ; avec mes limiers, les
cygnes, les oies bises ou blanches, les pigeons sauvages ; avec mon arc,
les plongeons et les butors ! »
Tous s'en rirent bonnement, et le roi demanda :
« Et que prends-tu, frère, quand tu chasses au gibier de rivière ?
Je prends tout ce que je trouve : avec mes autours, les loups des bois
et les grands ours ; avec mes gerfauts, les sangliers ; avec mes faucons,
les chevreuils et les daims ; les renards, avec mes éperviers ; les lièvres,
avec mes émerillons. Et quand je rentre chez qui m'héberge, je sais bien
jouer de la massue, partager les tisons entre les écuyers, accorder ma
harpe et chanter en musique, et aimer les reines, et jeter par les ruisseaux
des copeaux bien taillés. En vérité, ne suis-je pas bon ménestrel ?
Aujourd'hui, vous avez vu comme je sais m'escrimer du bâton. »
Et il frappe de sa massue autour de lui.
« Allez-vous-en d'ici, crie-t-il, seigneurs cornouaillais ! Pourquoi rester
encore ? N'avez-vous pas déjà mangé ? N'êtes-vous pas repus ? »
Le roi, s'étant diverti du fou, demanda son destrier et ses faucons et
emmena en chasse chevaliers et écuyers.
« Sire, lui dit Iseut, je me sens lasse et dolente. Permettez que j'aille re-
poser dans ma chambre ; je ne puis écouter plus longtemps ces folies. »
Elle se retira toute pensive en sa chambre, s'assit sur son lit, et mena
grand deuil :
« Chétive ! pourquoi suis-je née ? J'ai le cSur lourd et marri. Brangien,
chère sSur, ma vie est si âpre et si dure que mieux me vaudrait la mort !
Il y a là un fou, tondu en croix, venu céans à la male heure : ce fou, ce
jongleur est chanteur ou devin, car il sait de point en point mon être et
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ma vie ; il sait des choses que nul ne sait, hormis vous, moi et Tristan ; il
les sait, le truand, par enchantement et sortilège.»
Brangien répondit :
« Ne serait-ce pas Tristan lui-même ?
Non, car Tristan est beau et le meilleur des chevaliers ; mais cet
homme est hideux et contrefait. Maudit soit-il de Dieu ! maudite soit
l'heure où il est né, et maudite la nef qui l'apporta, au lieu de le noyer là-
dehors, sous les vagues profondes !
Apaisez-vous, dame, dit Brangien. Vous savez trop bien,
aujourd'hui, maudire et excommunier ! Où donc avez-vous appris un tel
métier ? Mais peut-être cet homme serait-il le messager de Tristan ?
Je ne crois pas, je ne l'ai pas reconnu. Mais allez le trouver, belle
amie, parlez-lui, voyez si vous le reconnaîtrez. »
Brangien s'en fut vers la salle où le fou, assis sur un banc, était resté
seul. Tristan la reconnut, laissa tomber sa massue et lui dit :
« Brangien, franche Brangien, je vous conjure par Dieu, ayez pitié de
moi !
Vilain fou, quel diable vous a enseigné mon nom ?
Belle, dès longtemps je l'ai appris ! Par mon chef, qui naguère fut
blond, si la raison s'est enfuie de cette tête, c'est vous, belle, qui en êtes
cause. N'est-ce pas vous qui deviez garder le breuvage que je bus sur la
haute mer ? J'en bus à la grande chaleur dans un hanap d'argent, et je le
tendis à Iseut. Vous seule l'avez su, belle : ne vous en souvient-il plus ?
Non ! » répondit Brangien, et, toute troublée, elle se rejeta vers la
chambre d'Iseut ; mais le fou se précipita derrière elle criant : « Pitié ! »
Il entre, il voit Iseut, s'élance vers elle, les bras tendus, veut la serrer
sur sa poitrine ; mais, honteuse, mouillée d'une sueur d'angoisse, elle se
rejette en arrière, l'esquive ; et, voyant qu'elle évite son approche, Tristan
tremble de vergogne et de colère, se recule vers la paroi, près de la porte ;
et, de sa voix toujours contrefaite :
« Certes, dit-il, j'ai vécu trop longtemps, puisque j'ai vu le jour où Iseut
me repousse, ne daigne m'aimer, me tient pour vil ! Ah ! Iseut, qui bien
aime tard oublie ! Iseut, c'est une chose belle et précieuse qu'une source
abondante qui s'épanche et court à flots larges et clairs ; le jour où elle se
dessèche, elle ne vaut plus rien : tel un amour qui tarit. »
Iseut répondit :
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« Frère, je vous regarde, je doute, je tremble, je ne sais, je ne reconnais
pas Tristan.
Reine Iseut, je suis Tristan, celui qui vous a tant aimée. Ne vous
souvient-il pas du nain qui sema la farine entre nos lits ? et du bond que
je fis et du sang qui coula de ma blessure ? et du présent que je vous
adressai, le chien Petit-Crû au grelot magique ? Ne vous souvient-il pas
des morceaux de bois bien taillés que je jetais au ruisseau ? »
Iseut le regarde, soupire, ne sait que dire et que croire, voit bien qu'il
sait toutes choses, mais ce serait folie d'avouer qu'il est Tristan ; et Tris-
tan lui dit :
« Dame reine, je sais bien que vous vous êtes retirée de moi et je vous
accuse de trahison. J'ai connu, pourtant, belle, des jours où vous
m'aimiez d'amour. C'était dans la forêt profonde, sous la loge de
feuillage. Vous souvient-il encore du jour où je vous donnai mon bon
chien Husdent ? Ah ! celui-là m'a toujours aimé, et pour moi il quitterait
Iseut la Blonde. Où est-il ? Qu'en avez-vous fait ? Lui, du moins, il me
reconnaîtrait.
Il vous reconnaîtrait ? Vous dites folie ; car, depuis que Tristan est
parti, il reste là-bas, couché dans sa niche, et s'élance contre tout homme
qui s'approche de lui. Brangien, amenez-le-moi. »
Brangien l'amène.
« Viens çà, Husdent, dit Tristan ; tu étais à moi, je te reprends. »
Quand Husdent entend sa voix, il fait voler sa laisse des mains de
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